Un thé avec l’homme de Chengdu

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« Ma mère était enceinte quand elle a échappé à la torture… Je suis donc chanceux d’être là aujourd’hui ! »

Cette phrase restera longtemps gravée dans nos mémoires. Tout comme la longue conversation que nous avons eue avec cet homme de Chengdu.

Tout a commencé (comme souvent en Chine) avec une tasse de thé. Un après-midi, nous nous posons dans un parc de la ville et commandons un thé (au hasard!). Nous le dégustons quand un homme nous aborde en anglais et nous propose de nous joindre à lui. Nous acceptons avec plaisir et nous commençons à bavarder.

Il est ingénieur en chimie et vient de faire une pause dans sa carrière pour de grandes entreprises internationales. Il nous pose beaucoup de questions sur la Belgique et nous sur la Chine.

Il nous parle de sa fille qui voudrait étudier à l’étranger mais ne maitrise pas bien l’anglais. Nous parlons des enfants en général et nous lui demandons quelques détails sur la politique de l’enfant unique.

L’homme de Chengdu : Aujourd’hui, cette politique s’est assouplie. Vous pouvez avoir un second enfant si vous êtes tous les deux des enfants uniques. Mais en réalité les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus vraiment envie d’en avoir. Cela coûte trop cher ! J’ai entendu que les gens en Europe ne se mariaient plus qu’officiellement et qu’ils ne faisaient plus de fête. C’est vrai ?

Nous : Autour de nous beaucoup se marient encore mais c’est vrai que certains créent leur propres cérémonies et ne vont plus à l’église. Mais le coût reste important dans les deux cas.

L’homme de Chengdu : Vous devriez l’organiser comme les Chinois. Ici, la coutume est de donner une enveloppe aux mariés avec des sous. Et cela peut aller de 1000 ¥ (145 €) pour un ami lointain à parfois 3-4000 ¥ (440-590 €) pour un proche. Dans de petites enveloppes rouges (la couleur de la chance). Les mariés ont toujours beaucoup plus d’argent après un mariage !

Il nous demande ensuite s’il est vrai qu’en Europe les gens préfèrent les vieilles maisons.

Nous : Oui en Europe, beaucoup de gens rêvent d’une vieille maison pleine de charme. Beaucoup sont en quête d’un peu d’authenticité.

L’homme de Chengdu : Mais pourquoi ? Ici, le rêve est d’avoir un logement le plus neuf possible. Comme ça, il est en bon état et moderne.

Nous parlons aussi beaucoup des systèmes d’éducation et de santé en Chine

L’homme de Chengdu : Avant, tout était gratuit, les soins à l’hôpital, les médicaments,… Mais récemment tout a changé, il n’y a plus que les soins à l’hôpital qui sont en partie gratuits. Tout le reste est devenu payant.

Nous : C’est dû à l’ouverture de l’économie ?

L’homme de Chengdu : Oui, c’est mal géré. L’éducation aussi coûte énormément aujourd’hui. Ça aussi, c’était gratuit avant. Comment cela se passe en Belgique ?

Nous : (Nous lui expliquons notre système)

L’homme de Chengdu : Donc c’est un système socialiste ?

Nous : Euh en tous cas, c’est un système très redistributif, oui.

L’homme de Chengdu : C’est dingue. En Chine, il ne reste plus grand chose du communisme !

Nous : A part dans le domaine politique ?

L’homme de Chengdu : (Il éclate de rire) Oui évidemment !

En voyant sa franchise, nous nous risquons à lui demander quelle est l’image de Mao aujourd’hui.

L’homme de Chengdu : C’est controversé. Beaucoup de gens l’adorent et pensent qu’il a fait de bonnes choses. Vous voyez ce que c’est la Révolution culturelle ?

Nous : (Nous lui montrons qu’il peut poursuivre son explication)

L’homme de Chengdu : Mao était un homme doué pour la politique et les luttes de pouvoir mais pas du tout pour l’économie. Mao avait de drôles d’idées comme le Grand Bond en avant. L’idée était que la Chine avec sa population et son potentiel pouvait rattraper n’importe quel pays dans n’importe quel secteur et Mao a donc décidé que le pays allait rattraper la production d’acier de l’Angleterre. Du coup tout le monde a commencé à faire de l’acier. Beaucoup de gens ont quitté leur activité pour aller travailler dans ces usines. C’est complètement idiot comme idée, non ? Cela a donné une période très difficile pour la Chine avec des famines (et des dizaines de millions de morts). La Chine a souffert de cette période pendant des années. Au sein du parti communiste, il y avait des gens doués en économie, dont Deng Xiaoping (Celui qui plus tard ouvrira la Chine à l’économie libérale). Ces gens ont lancé des réformes mais Mao les a dénoncé comme capitalistes et a lancé la révolution culturelle. C’était terrible. Des tas de procès et d’exécutions. On torturait dans les prisons. Beaucoup de gens ont été envoyés dans les campagnes. Mao s’est basé sur des jeunes qui ont commencé à porter un bandeau rouge au bras, signe de leur soutien à la révolution : ce sont les gardes rouges. Ces jeunes n’allaient plus à l’école et faisaient régner l’anarchie partout. Les enseignants étaient particulièrement visés. Ma mère travaillait dans une école au moment de la révolution culturelle. Elle était enceinte de moi. Souvent ils emprisonnaient les professeurs pour les torturer. Mais ma mère n’enseignait pas, elle effectuait des expériences dans un labo lié à l’école. C’est la seule raison pour laquelle elle a échappé aux gardes rouges…

Je suis très chanceux d’être là aujourd’hui en fait…

Nous : (Silence)

L’homme de Chengdu : Cette période a duré 10 ans. Ils ont détruit quasi toutes les antiquités de Chine. Il n’en reste plus que quelques-unes. En 1976, Mao est mort et la Révolution culturelle a cessé.

Absorbés par notre conversation, nous ne nous sommes pas rendus compte que le soir était déjà là. Nous discutons encore un peu avec notre nouvel ami puis nous nous séparons. Cette tasse de thé partagée avec cet homme de Chengdu, nous nous en souviendrons longtemps.

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